L'île de la Comtesse

                                                  

       L’île de la Comtesse

    

                  Etude historique sur les origines de propriété de l’île de la Comtesse.


Etude effectuée par Arnaud Collin, historien amateur et auteur de la monographie   « Saint-Quay-Portrieux» Tome 1 et 2 dans la collection mémoire en images aux éditions Alan Sutton (2008 et 2009). Membre de la Société d'Emulation des Côtes d'Armor et de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne.

L'île de la Comtesse en 1911

Intérêt et but de l’étude :


- Clarifier l’origine du nom de l’île de « La Comtesse »
- Etablir la succession des différents propriétaires.
- Déterminer lequel des différents propriétaires à fait construire
  les murs existants sur l’île et pourquoi.

Sources et documents de recherches utilisés : 

- Titre de propriété de l’île. Mairie de Saint-Quay Portrieux.

- Acte de vente Verhille / Ville de Saint-Quay Portrieux 14 février 1975 - Etude de Maître Blanchet.

- Acte de vente Frontier / Verhille 06 août 1943 – Etude de Maître Lechartier.

- Acte de vente Beuscher / Martel 20 juillet 1872 – Etude de Maître Videment.

- Archives départementales. Côte : 3 E 36 / 115 - juillet 1872.
  (Archives de Maître Videment Notaire à Etables S/ Mer)

- Archives départementales. Archives antérieures à 1790 :

- Cahier N° 61. Série A. Page 15. Déclaration de 1679 fournie aux commissaires de la réformation  par Gabriel-Joseph d’Estrades, prieur, pour le prieuré de Saint-Magloire de Lehon.

- Cahier N° 62. Série A. Page 32. Déclaration de 1682 fournie aux commissaires de la réformation par Gabriel-Joseph d’Estrades, prieur, pour le prieuré de Saint-Magloire de Lehon.

- Cahier N° 63. Série A. Page 7. Déclaration de 1673 fournie aux commissaires de la réformation par Jean d’Estrades, prieur, pour le prieuré de Saint-Magloire de Lehon.

- Frédéric Morvan, La maison de Penthièvre (1212-1334) rivale des ducs de Bretagne M.S.H.A.B Tome LXXXI année 2003 pages 19 à 54.

- Peter Meazey, Dinan au temps de ses Seigneurs Edition de la Plomée Guingamp (1997)

- S.E.H.A.G Société d’études historiques et archéologiques du Goëlo. ( 22500 Paimpol)

- Note de M. Frédéric Royaerts – Service de l’urbanisme de Saint-Quay Portrieux (1996)                                                 
                                                                                 

      La Comtesse Marguerite de Mayenne



I  L’origine du nom de « la Comtesse »


Cette île aujourd’hui communément appelée l’île de La Comtesse a toujours intrigué de par son nom d’origine et de ses différents propriétaires. Cette étude est basée sur des documents officiels dont les actes notariés, les enregistrements hypothécaires, et les registres paroissiaux, seules sources d’informations officielles quant aux origines de propriété.

Il faut remonter au XIIIe siècle. Le propriétaire de l’île, comme de toutes les terres de la côte du Goëlo, était le Comte Henri II d’Avaugour (1205-1281), Comte de Penthièvre et Seigneur de Goëlo. Son père Alain de Penthièvre le fiance en 1209 à l’âge de 4 ans avec Alix de Bretagne l’héritière du Duché. Avant de mourir en 1212, son père désigne comme tuteurs de son fils et héritier, Gestin de Coëtmen et Juhel III de Mayenne Seigneur de Mayenne.

La même année les fiançailles d’Henri II d’Avaugour sont rompues par le roi Philippe Auguste qui organise l’union de l’héritière de Bretagne avec son cousin Pierre de Dreux dit Mauclerc.

En 1214 Henri II sera spolié de son patrimoine paternel dont le Penthièvre, par le Duc Pierre Ier de Bretagne. Il ne conservera que la petite Seigneurie d’Avaugour en Goëlo.
Henri II d’Avaugour épouse en 1238 la fille de son tuteur Juhel III de Mayenne, Marguerite de Mayenne (1208-1248) Baronne de Mayenne et Vicomtesse de Dinan – Bécherel, (Héritière de la Seigneurie de Dinan). Henri II offre plusieurs pièces de terre du Goëlo dont cette île, à son épouse Marguerite de Mayenne.

C’est cette dernière qui a laissé son titre, à défaut de son nom, aux lieux dont elle était propriétaire avec son époux, (l’île, mais aussi les terres situées devant l’île aujourd’hui appelées quartier de la Comtesse). Marguerite de Mayenne mourut en 1248 et fut inhumée auprès de sa mère Gervaise de Dinan dans le prieuré Saint-Magloire de Léhon près de Dinan où un tombeau de femme en pierre de Caen du XIIIe siècle est présenté comme étant le sien.

A l’automne de sa vie en 1278, veuf, Henri II d’Avaugour se fit moine Bénédictin à Léhon près de Dinan et fit don de plusieurs de ses biens dont cette île au prieuré de Léhon. Son entrée en religion ne l’empêchera pas de gérer le Goëlo. Son nom de moine était alors « Frater Henricus de Avaugour, dominus Goloye »

Le Comte Henri II d’Avaugour mourut le 06 octobre 1281. Il fut inhumé dans la chapelle du couvent des Cordeliers où se trouvait son gisant (tombeau qui le représente mort) aujourd’hui disparu. Sur sa tombe était gravé : « Sub meo scuto est meum secretum » (Mon secret est sous mon bouclier)

En 1679, l’île portait déjà le nom « d’île de la Comtesse », et des ruines existaient également à cette époque, ces dernières sont répertoriées dans le « dénombrement » (1) de l’an 1679 et de l’an 1682 fournis aux commissaires de la réformation par Gabriel-Joseph d’Estrades, prieur, pour le prieuré de Saint-Magloire de Lehon. Cependant ces ruines n’existent plus et n’ont rien à voir avec les constructions existantes. Nous apprenons par la même occasion que l’île était source de rentes foncières parce que cultivée.

Le dénombrement de l’an 1679 fournis aux commissaires de la réformation par Gabriel-Joseph d’Estrades, prieur, pour le prieuré de Saint-Magloire de Lehon précise ceci: (Orthographe d’origine)

« En la paroisse de St Qué evesché de Dol, ledit prieur
commandataire(2) possède son rocher situé sur le bord de la mer
appellé vulgairement l’Isle de la Contesse contenant deux à trois
journaux (3) de terre labourable ou environ, sur le haut du quel rocher
Y a quelques vestiges de batiements ruines, et au pied une pescherie (4)
Et est deub (5) audit Prieur des rentes foncières à devoir de portage
au grenier par luy assigné ou ses fermiers, par les cy après nommés… »

Il est vraisemblable que l’île appartenait encore aux moines de Dinan en 1789.

(1) Inventaire des biens et rentes de l’an 1679 du prieuré de Saint-Magloire de Lehon (Près de Dinan)
(2) Sous l’ancien régime un prieur commendataire bénéficiait des revenus d'un prieuré sans jouer de rôle effectif dans son administration.
(3) Ancienne mesure agraire correspondant à la surface qu’un homme pouvait labourer en un jour.
(4) Cuvette rocheuse peu profonde et ouverte vers la côte, permet de piéger les poissons lorsque la marée redescend. Des pierres y sont disposées afin de mieux refermer l’espace. Les pêcheurs peuvent alors se déplacer à pieds dans la pêcherie pour y attraper les poissons.
(5) Deub: Un du



II  L’après révolution 1789-1801 :


En 1801 M. Le Mée (du manoir des fontaines) est devenu propriétaire de l’île.
Cette île « bien d’église » a très certainement été vendue comme « bien national » après la révolution. Vers 1830 M. Le Mée vendit cette île à Mme Veuve Tranchant des Tulayes.

Après la mort de cette dernière, ses héritiers vendirent l’île à M. Alfred Delphin Beuscher qui en fût propriétaire jusqu’à sa mort en 1870.

Après le décès de Monsieur Beuscher, sa sœur Joséphine Beuscher hérita de l’île selon acte de succession en date du 12 mai 1870. Elle vendit l’île moyennant 2500 Francs à Mlle Amélie Martel, rentière, le 20 juillet 1872 qui deviendra un peu plus tard épouse de M. Auguste Le Maout, pharmacien, tous deux domiciliés à cette époque à Londres en Grande-Bretagne et propriétaire d’une villa à la ville Friour en Saint-Quay.


Ce sont ces derniers qui sont à l’origine des constructions encore visibles de nos jours, mais également d’un vivier, d’un réservoir et d’une petite maison à l’extrémité sud-est de l’île. Maison aujourd’hui détruite. Ces murs n’ont jamais été un début de quelconque forteresse ou manoir comme le dit la légende. Ils ont été bâtis dans l’unique but d’abriter un jardin botanique et un potager. Leur construction en forme de U a été étudiée de façon à ce que la base du U soit la plus large possible, protégeant l’île dans sa plus grande largeur des vents du nord / nord ouest.

La preuve que M. et Mme Le Maout sont à l’origine de cette construction est l’acte de vente de Mme Veuve Le Maout en date du 3 décembre 1898 à M. Joseph Hippolyte Le Sénécal.
Cet acte est le premier dans l’histoire de l’île à décrire le bien vendu de la façon suivante :

« L’île de la Comtesse située sur la grève du même nom, contenant une petite maison et des jardins clos de murs figurant au plan cadastral de la commune de Saint-Quay-Portrieux sous le numéro 1447 de la section B, pour une superficie de trente huit ares et cinquante centiares, avec sa rampe d’accès sur la grève du côté de la terre et toutes ses circonstances telles que citerne, arbres, arbustes, et toutes dépendances sans exception ni réserve »

Tous les actes antérieurs à ce dernier décrivent le bien comme étant l’île de la Comtesse et sa superficie. En aucun cas ils ne font allusion à une quelconque construction.




III  La relation entre l’île et la famille du célèbre parfumeur Eugène Rimmel. (1820 – 1887)


Eugène Rimmel inventa le Mascara en 1834 à Londres.
Contrairement à certaines idées reçues, Eugène Rimmel en personne n’a jamais été propriétaire de l’île. Il n’est pas non plus à l’origine des constructions existantes, nous l’avons démontré. Quant à savoir s’il a ou non cultivé des lavandes et autres fragances sur l’île rien ne l’indique. Il a cependant pu le faire en accord avec les propriétaires.

M. Joseph Le Sénécal après s’être porté acquéreur de l’île le 03 décembre 1898 la revendit aussitôt à M. et Mme Charles Frontier, Madame née Marie Herminie Rimmel le 25 décembre 1850 à Londres et fille du célèbre parfumeur décédé en 1887 (Acte en date du 29 décembre 1898)

Le 21 mars 1929 M. Pierre Emile Frontier héritier de Charles et Marie Frontier, époux de Mlle Eugénie Thérèse Sophie Rimmel née en 1884 à Beyrouth (Liban), devient propriétaire par voie de succession.

Le lien de parenté entre Eugénie et Marie Rimmel n’est pas explicite. Eugène Rimmel ayant eu trois enfants, une fille Marie et deux fils, il est possible qu’Eugénie soit une des petites filles d’Eugène et donc la nièce de Marie. Auquel cas Pierre Frontier aurait donc épousé sa cousine.

La famille Frontier – Rimmel repose dans un caveau monumental situé en bas du cimetière Bel-Air. Le caveau est visiblement à l’état d’abandon.

Le 6 août 1943 M. et Mme Verhille, Madame née Bacque achetèrent l’île à M. et Mme Pierre Frontier. C’est durant la seconde guerre mondiale que débuta la destruction des constructions sur l’île. Dans l’acte notarié de 1943 est précisé « Monsieur Frontier déclare que l’île de la Comtesse est actuellement réquisitionnée par les troupes occupantes et Monsieur Verhille, acquéreur, aura droit à l’indemnité due de ce fait à compter de ce jour seulement, toutes indemnités dues antérieurement à ce jour pour la même cause étant réservées par les vendeurs. Monsieur Frontier ajoute que les bâtiments et constructions élevées sur cette île ont été endommagés par les troupes occupantes qui ont notamment enlevé les planches, les portes et les fenêtres et une partie des ardoises des toitures ».

M. et Mme Verhille furent les derniers propriétaires privés de cette île, qu’ils ont vendu à la commune de Saint-Quay Portrieux représentée par le Maire M. Robert Richet le 14 février 1975, moyennant la somme de 108.000 Francs.
La déclaration d’utilité publique avait été prise par arrêté préfectoral en date du 31 décembre 1974.


Résumé:


Il est indiscutable que la dénomination d’île et son nom remontent au moins à l’an 1673. Cette île fut baptisée "île de la Comtesse" vraisemblablement en hommage à sa propriétaire la Comtesse Marguerite de Mayenne, Comtesse d’Avaugour épouse d’Henri II d’Avaugour Seigneur du Goëlo et de Dinan, entre 1238 année de leur mariage et 1248 année du décès de Marguerite de Mayenne.

En 1679 des vestiges de bâtiments existaient déjà, c’est inscrit dans le dénombrement de l’an 1679 fournit aux commissaires de la réformation par Gabriel-Joseph d’Estrades, prieur, pour le prieuré de Saint-Magloire de Lehon. Cependant ces vestiges ont aujourd’hui disparus et n’ont rien à voir avec les constructions existantes qui elles-même ne sont pas des ruines ou vestiges de forteresse quelconque. Les murs existant furent construits par M. et Mme Auguste Yves Marie Le Maout entre 1872 et 1898 dans le but d’y créer un jardin botanique et un potager. Les constructions englobaient également une petite maison et un vivier dont il ne reste aujourd’hui que des ruines.

Leur construction est de toute façon postérieure à 1865 car plusieurs aquarelles et dessins comme celui de Charles de Haldat du Lys représente l’île, vierge de toute construction à cette période. En 1898 l’acte de vente Martel Veuve Le Maout à Joseph Hippolyte Le Sénécal est le premier acte de l’histoire à indiquer en détails la présence de ces jardins clos de murs et des constructions annexes.

Contrairement à certains dires ou écrits, même si la famille du célèbre parfumeur Rimmel était propriétaire d’une villa nommée « Le Rimmel » aujourd’hui appelé « Les lavandes », et de terres à Saint-Quay-Portrieux, Eugène Rimmel en personne n’a jamais été propriétaire de cette île. Il n’est pas non plus à l’origine de la construction des murs existants. Peut-être a-t-il néanmoins cultivé quelques fragances sur l’île en accord avec les propriétaires de l’époque, sa propre fille Marie Herminie n’en devenant propriétaire qu’en 1898 soit une vingtaine d’années après la mort de son père. Plus tard en 1929 c’est sa petite fille Eugénie épouse Frontier (Pierre) qui en sera propriétaire.

La Comtesse de Calan, du Château de Calan (le Ker-Moor) quant à elle, n’a rien à voir avec cette île, d’autant que le château de Calan fut construit entre 1880 et 1890 et qu’à cette période l’île était la propriété de M. et Mme Charles Frontier.

Cette étude démontre que bien au delà du 19e et 20e siècle, si cette île doit son nom à une Comtesse, c’est à la Comtesse d’Avaugour, Comtesse du Goëlo et de Dinan, Marguerite de Mayenne.
                                                

  

            Annexes


Extrait du Cahier N° 61. Série A. Page 15. Déclaration de 1679 fournie aux commissaires de la réformation par Gabriel-Joseph d’Estrades, prieur, pour le prieuré de Saint-Magloire de Lehon.

                        

 

 

Transcription:


“En la paroisse de St Qué evesché de Dol, ledit prieur
commandataire possède son rocher situé sur le bord de la mer
appelé vulgairement l’Isle de la Contesse contenant deux à trois
Journaux de terre labourables  ou environ, sur le haut du quel rocher
Y a quelques vestiges de batiements ruines, et au pied une pescherie
Et est deub audit Prieur des rentes foncières à devoir de portage
au grenier par luy assigné ou ses fermiers, par les cy après nommés :

M. Allain Tilly Seigneur de Vymainguy et damoiselle Lucresse Nicol sa femme doivent chacun an de rente au terme de St Michel neuf bouexeaux (1) froment mesure de Göello marchand,
Catherine Guibert vesve Philippe Collas tutrice cinq bouexeaux de froment,
François Maheas fils feu Jan et consorts, doivent par chacun an cinq bouexeaux et tiers de bouexeau froment,
Damoiselle Françoise Morvau (ou Morvan), deux bouexeaux froment,
Janne Robert vesve de feu Annit Moreau Seigneur de la Banche, un bouexeau froment,
Estienne Le Breton fils Mathurin un bouexeau froment,
Barbe Manoir, deux bouexeaux froment mesure de Göello, et un bouexeau mesure de St Brieuc.”

                                                ***************
  

                                 


 

 






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